La blanquette de veau est l’un des plats préférés des Français. On a tous en mémoire une version délicieuse de ce plat préparée par une grand-mère ou un(e) ami(e), ou dégustée dans un bistrot.

Découvrez quelques geste simples pour obtenir une viande fondante et des légumes croquants, le tout nappé d’une sauce goûteuse et délicate.

Et ça s’applique à tous les plats de viande mijotée (pot-au-feu, bourguignon, etc.)

La version courte


Tout le monde peut réussir une délicieuse blanquette de veau, et tous les plats de viande mijotée, à condition de connaître et d’appliquer quelques règles simples

  • Faites dorer les morceaux de viande, pour leur donner un bon goût de grillé. Et si possible faites les dorer entiers, et découpez-les ensuite, avant de les faire bouillir. La viande sera plus juteuse.
  • Prenez une cocotte de la bonne taille, pour contenir la viande et les légumes et juste assez d’eau pour les recouvrir. Et si possible en fonte ou à fond épais pour une diffusion régulière de la chaleur.
  • Si la recette contient du vin ou de l’eau-de-vie, faites les chauffer avant d’ajouter le bouillon, pour éliminer l’alcool sans avoir besoin de trop chauffer.
  • Faites cuire à feu très doux, pour éviter que la viande ne sèche.
  • Cuisez longtemps pour que le collagène se dissolve. Mais pas trop longtemps, pour éviter que la viande ne s’effiloche et ne sèche.
  • Utilisez quelques légumes pour le bouillon (oignons, carottes, verts de poireaux), et cuisez les légumes d’accompagnement plus tard, pour qu’ils restent croquants et gardent du goût.
  • Préparez des grandes quantités et congelez le reste, car les plats mijotés sont encore meilleurs réchauffés.

A la fin de cet article, je vous propose la recette d’une délicieuse blanquette de veau avec une sauce gourmande liée aux jaunes d’œuf et à la crème.

Que nous dit la science ?


Les différents morceaux de viande

Les muscles squelettiques des animaux sont composés de microscopiques filaments (actine et myosine), regroupés en fibres musculaires (cellule musculaire), elles-mêmes regroupées en faisceaux, et en faisceaux de faisceaux qui constituent les muscles.

représentation schématique de la structure d'un muscle squelettique.
représentation schématique de la structure d’un muscle squelettique.

Les fibres musculaires, les faisceaux de fibres et les muscles sont entourés de collagène (pensez à des gaines qui entourent des câbles électriques).

C’est grâce au collagène que les muscles sont solides et peuvent se contracter et se détendre lors des mouvements.

Plus un muscle est sollicité, plus il contient de collagène. Les muscles de l’avant sont ceux qui assurent la traction du poids de l’animal. Ils contiennent donc beaucoup de collagène

les différents morceaux de boeuf et de veau et leurs modes de cuisson
  • Les morceaux à poêler, griller ou rôtir : contiennent peu de collagène. Ils peuvent être cuit rapidement (filet, rumsteak, bavette, etc.)
  • Les morceaux à braiser : ils contiennent un peu de collagène et peuvent être cuits à basse température ou braisés (macreuse, paleron, etc)
  • Les morceaux à bouillir : ils contiennent beaucoup de collagène et doivent être cuits longtemps dans de l’eau (gîte, queue, joue, plat de côtes, etc.)

La cuisson des fibres musculaires

On cuit la viande pour lui donner du goût, mais aussi pour rendre ses protéines plus digestibles. En effet, leur déroulement (dénaturation) facilite l’action des enzymes digestives

L’énergie apportée par la chaleur transforme les protéines.

  • Dans un premier temps, les protéines se déroulent (dénaturation), et s’associent entre elles. Elles piègent l’eau et forment un gel (pensez au blanc d’œuf qui reste souple)
  • Si l’on chauffe plus fort, les molécules s’associent plus fortement entre elles (coagulation) et expulsent l’eau. La viande devient sèche. Une viande sèche, c’est bien pour griller la surface d’un steak ou d’un rôti, mais pas pour l’intérieur.
Effet de la température sur le comportement des protéines de la viande
Effet de la température sur le comportement des protéines de la viande (Thomas A. Vilgis)

La cuisson du collagène

Le collagène est une protéine formée de 3 brins de gélatine enroulés sur eux-mêmes et entre eux, un peu comme une corde torsadée.

Entre 50°C et 70°C, le collagène se contracte (1/3 de sa longueur). Il comprime la viande qui perd son jus et devient dure.

En prolongeant la cuisson et en présence d’eau, les brins de gélatine se déroulent (gélatinisation) et se séparent. Ils forment un réseau qui piège l’eau à l’intérieur de la viande. 

Ainsi, la viande est plus tendre (moins dure) et elle parait juteuse parce que l’eau piégée par la gélatine compense celle perdue par la compression de la viande.

dissociation du collagène à partir de 60°C
dissociation du collagène à partir de 60°C

C’est pour cela que les viandes qui contiennent beaucoup de collagène doivent cuire longtemps et dans de l’eau (pot au feu, blanquette) pour laisser le temps au collagène de se gélatiniser.

Tout l’enjeu de la cuisson des viandes mijotées consiste donc à maintenir une température assez haute pour que le collagène se défasse, mais pas trop pour que la viande ne sèche pas.

Le goût de grillé

Comme nous l’avons vu dans de nombreux articles précédents (tapez « Maillard » dans le moteur de recherche), le brunissement des viandes résulte de réactions chimiques entre des protéines et des sucres présents à la surface de la viande. Ces réactions sont amplifiées à haute température.

Ces réactions chimiques sont responsables du goût et de la couleur des viandes grillées. Ce sont ces mêmes réactions qui donnent le goût et la couleur de la croûte du pain ou du café torréfié.

représentation schématique des réactions de brunissement (Maillard)
les réactions de brunissement (Maillard) donnent du goût, de la couleur et des odeurs

Le problème, c’est que les viandes mijotées cuisent dans du liquide. Donc la température en surface ne dépasse pas 100°C, et il y a moins de réactions de brunissement.

La solution : faire colorer les morceaux de viande avant d’ajouter le liquide ! Cela donnera plus de goût à la viande et à la sauce.

Le vin ou l’alcool

La plupart des recettes de viandes bouillies contiennent du vin ou de l’alcool (boeuf bourguignon, osso bucco, etc.).

Il est recommandé de laisser « bouillir » le vin ou l’eau de vie pour éliminer l’alcool tout en conservant les composés aromatiques. Or, la température d’évaporation de l’éthanol est de 78°C, bien inférieure à celle de l’eau (100°C).

Pourquoi dans ce cas est-il recommandé de laisser le vin bouillir avant d’ajouter l’eau ou le bouillon ? Après tout, l’alcool s’évaporera en premier, non ?

En fait, plus le taux d’alcool est faible (vin ou alcool mélangé au bouillon), plus il faut chauffer fort pour qu’il s’évapore. Et cela risque d’entraîner l’assèchement de la viande.

température d'évaporation de l'alcool en fonction de sa concentration

Pour faire simple, les molécules d’alcool se lient plus fortement aux molécules d’eau qu’entre elles. Il faut donc plus d’énergie (de chaleur) pour les détacher quand l’alcool est dilué.

C’est pour cette raison que les producteurs d’eau de vie doivent faire des distillations par étape, pour concentrer progressivement le distillat sans chauffer trop fort, et préserver ainsi les composés aromatiques des fruits.

La capillarité

Contrairement à ce qu’on lit trop souvent, le bouillon ne pénètre pas à l’intérieur des fibres musculaires !

Au fur et à mesure que le collagène se dénature, des espaces se créent entre les faisceaux et entre les fibres. Et le bouillon dans lequel la viande cuit pénètre dans ces espaces.

C’est la même chose qui se passe quand du café « monte » à l’intérieur d’un morceau de sucre.

Et plus il y aura de collagène transformé en gélatine, plus il y aura d’espace et de pénétration du liquide, et plus le morceau aura du goût et sera moelleux en bouche.

Viande braisée ou viande bouillie ?

viande braisée

Le braisage consiste à cuire une viande dans un récipient fermé avec un tout petit peu de liquide dans le fond pour maintenir une atmosphère humide et que la viande ne sèche pas.

On peut ajouter des légumes et des aromatiques pour donner du goût à la sauce.

Cette technique vient du temps où la cuisine se faisait dans les cheminées. On mettait le récipient sur la braise, et de la braise au-dessus (d’où les rebords sur les couvercles), pour une cuisson douce.

Il est recommandé de cuire au four pour que la chaleur arrive de tous les côtés.

Ce mode de cuisson est adapté aux morceaux qui contiennent peu de collagène (paleron, macreuse, roti, etc.)

viande bouillie

Pour la viande bouillie, le morceau est immergé dans du liquide. Comme l’eau transmet plus d’énergie que l’air, la cuisson est plus efficace.

C’est le mode de cuisson nécessaire pour les morceaux qui contiennent beaucoup de gélatine, par exemple pour les pots au feuboeufs bourguignonsblanquettes de veau.

De nombreuses recettes de viande braisée sont en fait des recettes de viande bouillie, car le liquide recouvre la viande. Mais c’est vrai que le terme « viande braisée » est plus appétissant que « viande bouillie », non ?

Couvercle fermé, ouvert ou entrouvert ?

Pour les cuissons braisées, le couvercle doit être fermé pour garder une atmosphère humide dans la cocotte.

Pour les cuissons bouillies, ça dépend

  • si le couvercle est fermé, les arômes restent dans la cocotte et il y a moins d’évaporation. Mais le liquide chauffe plus car il n’y a pas d’énergie du feu utilisée à évaporer l’eau. Surveillez bien votre feu et réglez le au plus bas. Je recommande de laisser le couvercle fermé si on veut beaucoup de bouillon (pot au feu).
  • si le couvercle est ouvert, les arômes s’échappent et le liquide s’évapore. Le liquide chauffe moins au début (car une partie de l’énergie est utilisée à évaporer l’eau). Mais au bout d’un moment la température monte car la même énergie chauffe moins d’eau (une partie est évaporée).

Pour les plats pour lesquels on veut une sauce concentrée (blanquette, bourguignon), je recommande de laisser chauffer avec le couvercle légèrement ouvert, et de surveiller le feu pour qu’il soit toujours le plus bas possible (léger frémissement).

Quelles implications en cuisine ?


Saisir des pièces entières

Si vous le pouvez, il vaut mieux acheter des morceaux entiers, les faire dorer entiers dans la cocotte, et les découper ensuite.

De cette façon, vous aurez assez de surface grillée, et vous garderez du jus à l’intérieur de la viande.

colorez la viande entière pour qu’elle reste juteuse

Si vous ne pouvez acheter que des morceaux, ou que vous n’aimez pas découper la viande, assurez-vous de les faire revenir en petites quantités dans la cocotte.

ne mettez pas trop de morceaux en même temps dans la cocotte

Si vous mettez trop de morceaux en même temps, il n’y aura pas assez de chaleur pour les colorer, et ils vont bouillir dans le jus.

Deux types de légumes : pour le bouillon et pour la garniture

Il est important de distinguer les légumes pour le bouillon et ceux pour la garniture.

  • pour le bouillon, les légumes doivent cuire longtemps et donner du goût au bouillon et à la viande. Il faut les couper en petits morceaux. A la fin de la cuisson, ils sont mous et fades, et sans intérêt.
  • pour la garniture: ce sont d’autres légumes qu’il faut couper en plus gros morceaux et cuire moins longtemps pour qu’ils gardent du goût et de la texture.

Une cocotte pas trop large

On veut que le viande et les légumes soient recouverts d’eau pour une cuisson homogène. Mais plus il y a d’eau plus le jus est dilué.

si la cocotte est trop large, il faudra presque 2 fois le volume d’eau pour recouvrir le même morceau de viande

Choisissez donc une cocotte pas trop large, pour limiter le volume de liquide au strict nécessaire et avoir une sauce concentrée.

Cuisez à petit bouillon

Le secret de la réussite des viandes bouillies, c’est de laisser le temps au collagène de se défaire pour que la viande soit moins dure, sans que les fibres musculaires ne perdent trop d’eau et que la viande ne devienne sèche.

Le meilleur équilibre est pour une température à cœur autour de 70°C. Si la température est plus élevée, le collagène se défait plus vite, mais la viande sèche plus.

Un autre avantage d’une cuisson douce est que les molécules odorantes s’échappent moins du liquide. Souvenez-vous que la bonne odeur d’un plat qui mijote, ce sont autant de molécules odorantes en moins dans la sauce !

Ne cuisez pas plus longtemps que nécessaire

La viande est cuite quand les morceaux se défont à la fourchette mais restent entiers.

Si vous poursuivez la cuisson plus longtemps, la viande va s’effilocher et sécher (souvenez-vous que 80% de l’eau est dans les fibres musculaires que la chaleur atteint en dernier).

Pas besoin de marinade

Au risque de m’attirer les foudres de certains Bourguignons, il n’y a pas besoin de laisser la viande mariner toute une nuit dans le vin pour réussir un délicieux Bœuf Bourguignon.

Comme nous l’avons vu dans un précédent article sur les marinades, elles pénètrent très peu à l’intérieur de la viande.

Donc si vous avez envie de préparer un bœuf bourguignon sans laisser mariner toute la nuit, allez-y !

Léger sur la farine !

Certaines recettes recommandent de saupoudrer de la farine sur la viande grillée, pour épaissir la sauce. C’est une bonne idée à condition d’avoir la main légère (1 CS maximum). Sinon vous aurez une sauce trop pâteuse et la farine va masquer les goûts.

Pour la recette de blanquette que je vous propose, la liaison de la sauce se fait au jaune d’œufs, pour un goût plus délicat qu’avec de la farine.

La recette


La recette de blanquette de veau à l’ancienne que je vous propose est une adaptation de différentes recettes que j’ai testées.

Le fait de saisir la viande lui donne plus de goût et une couleur plus appétissante que les recettes où la viande est directement bouillie.

Et la liaison de la sauce à l’oeuf et à la crème donne un résultat plus délicat qu’avec de la farine.

Ingrédients pour 6 personnes.

  • 600 g d’épaule de veau + 600 g poitrine de veau
  • 2 CS huile olive

Pour le bouillon :

  • 2 carotte pelées et coupées en morceaux (2 à 3 cm)
  • 2 verts de poireaux lavés et coupés en morceaux (2 à 3 cm)
  • 1 oignon coupé en 2
  • 3 gousses d’ail écrasées
  • 3 clous de girofle plantés dans les demi-oignons
  • 1 Bouquet garni (6 branches thym + 2 feuilles laurier + 4 branches persil)
  • 1 CS gros sel

Pour la garniture :

  • 6 carottes pelées et coupées en rondelles ou en tronçons.
  • 2 blancs de poireaux lavés et coupés en tronçons de 5 cm
  • optionnel: 200 g de champignons de Paris émincés ou coupés en 4. Je n’en mets pas toujours.

Pour la sauce :

  • 25 cl de crème fraîche épaisse
  • 4 jaunes d’œufs
  • Noix muscade
  • 1 cc de jus de citron
  • Sel et poivre

Réalisation

Cuisson de la viande

  • Faites chauffer les 2 CS d’huile dans une cocotte sur feu vif
  • Quand l’huile est chaude (elle commence à fumer), ajoutez les morceaux de viande et faites-les dorer sur toutes les faces. Si la viande est déjà découpée en morceaux, faites dorer des petites quantités en plusieurs fois, en ajoutant éventuellement un peu d’huile entre chaque série.
  • Sortez la viande et réservez dans un plat.
  • Baissez le feu sur moyen-faible et mettez les légumes du bouillon dans la cocotte (ail écrasé, demi-oignons piqués de clous de girofle, morceaux de carotte, morceaux de vert de poireaux). Laissez-les cuire 5 à 6 mn jusqu’à ce qu’ils soient tendres, sans les laisser colorer.
  • Pendant ce temps, coupez la viande en morceaux si vous l’avez faite dorer entière.
  • Quand les légumes du bouillon sont tendres, ajoutez les morceaux de viande et le bouquet garni, et mouillez à hauteur avec de l’eau. Quand vous voyez les premières bulles apparaître à la surface du liquide, baissez le feu pour maintenir un petit frémissement.
  • Laissez-cuire à feu doux pendant 2h30 environ avec le couvercle entrouvert. Vérifiez la cuisson et prolongez-la si la viande ne se détache pas.
  • Retirez la viande et réservez-la dans un saladier en l’arrosant avec 1 louche de bouillon.

Cuisson des légumes

  • Faites cuire les légumes (carottes, blancs de poireau) dans le bouillon frémissant pendant une 20aine de minutes, pour qu’ils soient tendres mais encore un peu croquants.
  • Retirez les légumes et réservez les dans le plat contenant la viande.
  • Faites colorer les champignons quelques minutes dans une poêle avec un peu de beurre ou d’huile. Réservez avec les autres légumes.

Préparation de la sauce

  • Passez le bouillon à travers une passoire fine. Faites-le réduire à feu vif jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un demi-litre.
  • Pendant ce temps, mélangez dans un grand récipient les 4 jaunes d’œuf et les 25 cl de crème fraîche épaisse. Râpez un peu de noix de muscade
  • Baissez le feu sous le bouillon réduit.
  • Ajoutez une louche de bouillon réduit au mélange œuf et crème et mélangez bien.
  • Versez l’ensemble dans le bouillon et faites chauffer tout doucement à feu très doux. Laissez la sauce épaissir pendant 10 mn en remuant constamment, puis ajoutez la cc de jus de citron. Salez et poivrez.

Finition

  • Versez la viande et les légumes dans la sauce, et laissez réchauffer avant de servir.
  • Parsemez de persil ou de ciboulette ciselés. Vous pouvez proposer cette blanquette telle qu’elle, ou l’accompagner de riz blanc ou de tagliatelles.

Les références

Les documents suivants m’ont aidé à préparer cet article. Que leurs auteurs en soient remerciés

  1. J. Kenji Lopez-Alt; Serious Eats: Follow the rules for the best all-american beef stew.
  2. Arthur le Caisne; Régal: les secrets de cuisson: bouillir ou braiser ?
  3. Génie Alimentaire : propriétés technologiques des viandes
  4. Faire sa Gnole : théorie de la distillation